Extrait de « Le Pilat, la grande dune et le pays de Buch » – 1983
Note des éditeurs : retranscrite ici pour son intérêt documentaire, cette présentation de la forêt usagère, sous son abord objectif, colporte des interprétations fantasistes hélas fréquentes sur une supposée limitation des attributs de la propriété privée ; à lire avec un indispensable esprit critique...
La grande montagne, forêt de dunes anciennes
La partie nord de la dune domine et recouvre petit à petit l’extrémité nord-ouest de la grande montagne (forêt) de La Teste dont la richesse du sous-bois et l’aspect sauvage s’explique par son microclimat, son relief et surtout son statut. Forêt usagère, elle est en effet privée (en ce qui concerne le sol et les cabanes) et communautaire (en ce qui concerne les boisements) ; les arbres sont toujours réservés à l’usage des habitants et ce droit, codifié on l’a vu depuis le XVe siècle au moins, peut se résumer ainsi : droit au bois vif pour la construction, au bois mort sec, abattu ou à abattre pour le chauffage. A ce droit au bois, il faut en ajouter d’autres dont la conséquence la plus visible est l’impossibilité de clôturer les parcelles car l’usage suppose le libre parcours. Ainsi, les arbres étant destinés à servir les besoins de la population, les propriétaires fonciers n’en ont jamais eu la libre disposition si bien que la forêt n’a jamais été « exploitée », les seules coupes autorisées sont celles « pied par pied », selon les nécessités du devis, des plus beaux arbres destinés à la construction. Comme la charge de cette « cueillette » doit équitablement peser sur chacune des 148 parcelles, une rotation des prélèvements est instituée si bien qu’il ne peut exister ni dépressage, ni éclaircies, ni coupes de régénération étendues. Les arbres restent en place jusqu’à ce qu’ils meurent, et lorsqu’ils sont secs, ils demeurent encore la propriété des usagers qui peuvent les abattre pour se chauffer.
Ce statut particulier a permis le maintien d’une forêt « naturelle » où se côtoient sur les mêmes parcelles des pins d’âge différent et dont l’originalité est encore augmentée par le relief très tourmenté, la présence de nombreux feuillus qui donnent un humus doux favorable à l’exubérance du sous-bois, et l’existence par endroits de petits marais, les braous, dont la végétation enchevêtrée accentue ce caractère de forêt « vierge ». C’est aussi à cause de ce statut qu’on y trouve parfois de grands arbres au tronc lisse, les pins-borne qui délimitaient les parcelles, ou ces majestueux et impressionnants « pins-bouteille » plusieurs fois centenaires qui furent gemmés « à mort » puisque la gemme était la seule ressource du propriétaire foncier. Ce statut, à la fois contraignant et protecteur, a permis à ce témoin important des forêts du néolithique, de se perpétuer au cours des siècles, un subtil équilibre étant ainsi maintenu entre la nature et l’homme qui l’entretenait y prélevant ce dont il avait besoin, en « bon père de famille ».
Mais cet équilibre subtil et fragile est, depuis quelques années mis en péril pour des raisons économiques, la plus importante étant la disparition quasi complète du gemmage et donc des résiniers qui entretenaient la forêt.
Alors qu’on peut estimer la production annuelle du massif à près de 1 200 000 litres au début du siècle (sur la base de 300 litres par hectare en 1902), celle-ci a oscillé entre 636 000 et 500 000 litres de 1956 à 1977 (avec trois pointes seulement à plus d’un million en 1962, 1966 et 1972). Ce phénomène est dû à la diminution de la surface exploitée qui est passée pendant cette même période de 3 000 à 1 500 hectares (et moins de 600 en 1982) et s’est accompagnée de l’abandon de la forêt par les résiniers (120 en 1959, 31 en 1977, 18 en 1982). Mais dans le même temps la production s’élevait de 212 litres par hectare en 1956 à 333 en 1977, phénomène dû à la généralisation du gemmage par pulvérisation d’acide sulfurique dilué à 50% et à l’abandon des règlements anciens qui avaient pour but d’économiser l’arbre et précisaient la hauteur, largeur et profondeur des carres. Ainsi, au fur et à mesure que la concurrence étrangère (Portugal, Chine) s’accentuait, la production globale diminuait mais les arbres encore productifs étaient de plus en plus surexploités (carres trop nombreuses, arbres gemmés trop jeunes…)
Enfin, en 1977, l’usine coopérative de transformation des résines de La Teste fermait ses portes avant d’être détruite et de laisser sa place à un lotissement au nom évocateur: « Lotissement de la gemme », si bien qu’en 1982, la production s’acheminait pour 1/3 à Parentis et 2/3 à Carcans. L’abandon du gemmage fut aussi l’abandon de la forêt et de son entretien régulier par des habitants permanents : ainsi en 1979 n’y avait-il plus que 25 cabanes habitées par des résiniers sur les 84 que compte le massif. D’autres causes, sociologiques celles-là, ont aggravé la situation : la dispersion géographique des propriétaires (la moitié n’habitent plus le territoire de l’ancien captalat) et la disparition des anciens propriétaires exploitants (des 23 de 1959 il n’en restait que 2 en 1977) remplacés par une main-d’œuvre étrangère aux motivations différentes. Cette évolution s’est accompagnée d’une concentration de la propriété foncière puisque 55% de la superficie (3 850 ha) est contrôlée par 20 familles, 40% par 70 et 5% par 90 mais aussi par l’augmentation des indivisions. Dans le même temps des évolutions ont affecté la population « usagère » : alors que de 1918 à 1936 la demande de bois d’oeuvre était en moyenne de 3 500 m3 / an, elle s’est stabilisée autour de 1 537 m3 de 1966 à 1979. Cela s’explique par la diminution du nombre des usagers potentiels liée à l’augmentation de la durée d’habitanat (portée à 10 ans en 1955) mais surtout par le changement de comportement vis-à-vis de la construction (autres matériaux, maisons « clés en mains »…) De même, l’évolution des techniques de chauffage a contribué au manque d’entretien de la forêt, les usagers n’enlevant plus ce qui leur appartient, arbres morts, branches et cimes laissées par les scieurs – et si de nos jours, un regain d’intérêt se manifeste pour le bois de feu, c’est essentiellement sur le chêne, prélevé anarchiquement, qu’il se fait sentir.
Cette double évolution a rejailli sur les mentalités et parfois favorisé un certain nombre d’achats spéculatifs dans l’espoir d’un partage judiciaire qui, dégrevant les terrains des droits d’usage, en augmenterait la valeur et permettrait une gestion plus rentable. Ce souci légitime des propriétaires s’est heurté à celui tout aussi légitime de ceux qui voulaient le maintien d’un statut qui, s’il mérite d’être actualisé, est cependant éminemment social et a permis que se perpétue jusqu’à notre époque un ensemble naturel exceptionnel malheureusement laissé à l’abandon faute d’entente entre les parties qui ont confié à la justice le soin de trancher leur différend.
La forêt usagère de La Teste a donc connu une évolution autonome: massif complexe, sans « gestion », sous exploité, champ d’affrontement d’intérêts divergents, c’est cependant un milieu fragile, original qui exige des méthodes de gestion adaptées et sur lequel veillent deux ministères, l’agriculture et l’environnement car il est le complément naturel du grand site national de la dune du Pilat.
Note des éditeurs : Selon les auteurs du guide, "... les propriétaires fonciers n'en ont jamais eu la libre disposition si bien que la forêt n'a jamais été "exploitée", les seules coupes autorisées sont celles "pied par pied"..."
Il s'agit là d'une lecture erronée de l'histoire économique et technique de la forêt de La Teste. En réalité, la forêt a été depuis la nuit des temps exploitée par ses riverains, habitants, tenanciers puis propriétaires. Tant que la résine en a été le plus précieux produit, elle était exploité de sorte de fournir de la résine (d'où la nécessaire cueillette sélective pied par pied, la priorité donnée au pin aux dépends des feuillus...) Quand l'industrie navale était une priorité stratégique, la forêt a été cultivée, exploitée, de sorte de fournir du bois de charpente en chêne. Maintenant que la résine n'a plus cours, la forêt doit être exploitée autrement, pour les autres produits qu'elle peut fournir. Il n'est pas fondé de considérer que le régime technico-économique d'exploitation en vigueur durant les siècles passés s'impose aujourd'hui comme un corollaire obligé. De tous temps, les sylviculteurs ont exploité cette forêt au mieux de leurs intérêts dans le cadre des nécessités et des possibilités de leur époque. Les propriétaires d'aujourd'hui revendiquent et affirment leur droit de faire de même aujourd'hui et pour l'avenir.
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Guide édité en 1983 à l’initiative de la commune de La Teste de Buch qui en a financé la réalisation avec le concours de la Direction de l’Urbanisme et des paysages au Ministère de l’Urbanisme et du Logement – Production Arpège pour le compte de la commune de La Teste de Buch. Monsieur Robert Aufan étant l’auteur de cette section.
Il semble possible de se procurer une réédition de ce guide auprès de la Société Historique.