…féodale connut deux sortes de propriétés : l’alleu ou franc alleu propriété pleine, franche et indépendante, et la tenure, propriété divisée en un domaine direct ou éminent réservé au seigneur et un domaine utile appartenant au vassal ou tenancier. L’alleu était l’exception tandis que la tenure constituait la forme commune de la propriété foncière. La règle générale est, en effet, sous le régime féodal que « nul homme, qu’il soit seigneur, vassal, tenancier, ou serf, ne possède de terre qu’en vertu d’une concession et à charge de services dus au concédant ». Le concédant ne se déssaisit jamais complètement : il n’abandonne que la possession, la jouissance, en d’autres termes le domaine utile et se réserve une partie de la pleine propriété : le domaine direct ou la directe. Quelque fois même, les actes que nous étudierons nous en fourniront un curieux exemple, le concédant n’abandonne qu’une partie strictement délimitée du domaine utile, se réservant, outre le domaine direct, les droits utiles qu’il n’a pas expréssement octroyés.
Le tenancier, ayant la possession et la jouissance, a tous les avantages de la propriété. C’est le vrai propriétaire. Le seigneur n’a cependant pas abandonné tout droit sur la tenure et retire des profits pécuniaires de la terre concédée. C’est ce que va nous montrer une étude sommaire des modes de tenures les plus importantes, les seuls qu’il soit nécessaire de mentionner : le fief et la censive.
Dans le Bordelais, du moins à l’époque où furent rédigés les actes que nous étudierons, le fief se confondait avec la censive : « les tenanciers d’une censive, dit M. BRUTAILS, déclaraient la tenir en fief féodalement, en feu, fevaument et on les qualifiait d’affévats, d’affévatiers c’est-à-dire tenus de fief ». « Tel document parle de fiefs censaux, tel autre mentionne des fiefs nobles »Cette confusion ne se manifeste pas seulement dans la terminologie, elle se révèle aussi si l’on considère le droit lui-même : on voit des bourgeois prêter hommage pour une maison noble, on voit encore des tenanciers auxquels un droit de pacage vient d’être concédé en « fief féoment » payer dix francs de cens par an et recevoir cette concession « étant un genouil en terre et la tête découverte » Baillette du 23 mai 1550. Ce bail à cens ou bail à fief que nous étudions était une concession du seigneur pour faire exploiter sa terre, sa propriété. Cette concession, perpétuelle, était faite « à charge de reconnaissance, de paiement d’une redevance abolie et de paiement de droits de mutation : esporte en cas de mutation pas décès, lots et ventes en cas de mutation par aliénation contractuelle.
La terre concédée, la censive, peut en effet être aliénée par le tenancier, mais l’aliénation ne peut jamais avoir lieu au profit de chevaliers ou d’églises, et nous verrons la baillette de 23 mai 1550 décider, conformément à cette règle, que les tenanciers « ne pourront bailler, ne laisser à l’église, temple, hopital ne monastère, ne mettre en mainmorte ne forte » les biens qui leur sont concédés. La vente ne devient parfaite que par l’intervention du seigneur qui peut écarter l’acquéreur en lui remboursant le prix d’acquisition et retenir ainsi la censive par devers lui (droit de retrait féodal ou de prélation). Si le seigneur confirme la vente, il perçoit alors le droit de lods et ventes.
Le tenancier pouvait bien aliéner sa terre, mais il ne pouvait généralement pas la donner lui-même à cens par une sous-inféodation. Cette défense de sous-acenser, ou de sous-accaser, pour employer à peu près dans tous les actes, l’expression du Bordelais, si elle n’était pas édictée par la coutume, faisait l’objet d’une clause de style qu’on retrouve à peu près dans tous les actes et en particulier dans les titres concernant les droits d’usage dans la forêt de la Teste.
C’est ainsi que la Baillette de 1550 porte que les tenanciers « ne pourront accaser, ne sous accaser à plus ne moindre cens et esporte ». Cette interdiction se trouve reproduite dans la transaction du 25 janvier 1604.
« Le caractère qui sépare le plus profondément peut-être le bail à fief ou à cens de nos contrats modernes, c’est la perpétuité ». On sait cependant que la censive se présenta d’abord comme une tenue viagère. Si, à la longue, elle devint héréditaire, il n’en subsista pas moins des traces de l’intransmissibilité première. L’héritier était obligé de racheter la tenure et de payer au seigneur un droit de relief (relevium) ou de rachat qui prit, dans le Bordelais, le nom d’esporle. Cette redevance était exigible à changement de seigneur ou à changement de tenancier ou encore à changement de seigneur et de tenancier. Le chiffre de l’esporle était généralement minime et nous verrons un acte n’exiger que « cinq sols tournois d’esporle ». Souvent même l’esporle ne consistait pas dans le paiement d’une somme d’argent. Ducange nous apprend qu’on donnait comme esporle une ou deux lances, ou encore des éperons dorés. L’esporle était due pour chaque tenure, et si un tenancier avait reçu plusieurs terres en concession d’un seul et même seigneur, il devait l’esporle pour chaque tenure différente. C’est l’unité de l’esporle qui permet surtout de reconnaître l’unité d’une tenure.
Cette redevance n’était pas une source de profits pour le seigneur, elle avait surtout pour but de « prévenir la prescription de la seigneurie foncière et d’affirmer de temps en temps le droit du seigneur sur le fonds qui dépendait de lui. Ce droit de seigneurie était mieux et plus explicitement proclamé dans une reconnaissance qui prenait d’elle-même le nom d’esporle. Esporler, dans le langage du pays, c’est reconnaître passer aveu et dénombrement. Seuls les tenanciers qui ont la possession et la jouissance, c’est-à-dire le domaine utile, doivent esporler, et souvent la concession de la tenure par le seigneur est exprimée par cette formule que « le tenancier est admis à esporler et reconnaître ». Nous verrons un exemple de cette clause dans la transaction du 25 janvier 1604, par laquelle le duc d’Epernon reçoit certains habitants de La Teste « à esporler et reconnaître de lui » les biens dont il leur concède la jouissance.
Quant aux redevances annuelles, c’étaient tantôt des redevances de quotité, tantôt des redevances fixes, le plus souvent payables en numéraire. Parfois, le prix du bail était payé sous deux formes : d’abord une somme versée au moment de la concession ou peu après, qu’on appelait « droit d’entrée », la charité, puis la redevance annuelle. C’est ainsi que nous verrons la baillette de 1550 obliger les tenanciers à payer au seigneur « huit cent livres tournois d’entrées et charités » en outre d’une rente de dix francs bordelais par an.
Telles sont les notions succinctes qu’il était indispensable de connaître avant d’aborder l’étude des divers actes qui concernent le droit d’usage dans la forêt de la Teste.